Députée de la Drôme (1ère circonscription)
Première Vice-présidente de la Commission Supérieure du Numérique et des Postes
Vice-Présidente de la Commission des Affaires étrangères

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Ma question à M. François Fillon en Commission sur les ingérences étrangères


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Le 2 mai 2023

Audition de M. François Fillon

 

Mireille Clapot :

Merci Monsieur le Président,

Monsieur le Président, je vais avoir trois questions pour vous. J’ai sursauté tout à l’heure mais je pense que vous allez préciser votre pensée à propos des oligarques. Vous êtes un bon connaisseur de la vie politique et économique russe et donc vous connaissez les liens étroits qui existent entre oligarques et pouvoir. Des liens qui vont de la connivence à la haine et qui ont d’ailleurs entraîné, de façon surprenante, des décès, des accidents inexpliqués et avant cela des emprisonnements. J’ai été un peu surprise de vous entendre minimiser la différence entre les oligarques russes et les chefs d’entreprises occidentaux. Pouvez-vous préciser votre pensée s’il-vous-plaît ?

 

François Fillon :

Ce que j’ai voulu dire, c’est que cette généralisation qui veut qu’il y ait le bien d’un côté, le mal de l’autre, qu’il y a cette Russie épouvantable et l’Occident merveilleux et parfait, c’est une vision qui est évidemment fausse et inexacte. Il y a en Russie un système économique qui est totalement vertical et dépendant de l’Etat, bien sûr, mais c’est le cas en Arabie Saoudite, au Qatar, dans les Emirats, en Chine dans une certaine mesure. Ce que j’ai voulu dire tout à l’heure, c’est que traiter tous les chefs d’entreprise russes de la même façon, penser que, parce qu’ils sont chefs d’entreprise et qu’ils ont réussi, ce sont tous des corrompus et des gens totalement inféodés au pouvoir. Je pense que c’est injuste et cela ne correspond pas à la réalité. Il y a des chefs d’entreprise de qualité en Russie et il y en d’autres qui se sont enrichis dans des conditions discutables et qui d’ailleurs étaient assez liées, si vous vous en souvenez, à la manière dont la Russie a été prise en main par tous les organismes de conseil anglo-saxons au moment de la chute de l’Union soviétique. C’est là que cela s’est passé, l’Union soviétique s’est effondrée, beaucoup d’Américains sont arrivés en Russie pour expliquer aux Russes comment on faisait fonctionner l’économie libérale et c’est comme cela qu’ont commencé à s’installer les premiers oligarques en accaparant des richesses qu’ils n’ont pas contribuées à créer par leur propre intelligence ou leur propre travail.

Aujourd’hui, il faut distinguer, parmi les responsables russes, il y en a qui sont tout à fait dans ce schéma-là, il y en a d’autres qui sont des gens de qualité. J’ai rencontré, notamment dans l’entreprise Sibur, toute une classe de dirigeants de moins de 40 ans, beaucoup formés d’ailleurs dans des pays occidentaux, qui sont des gens tout à fait comparables à ceux qui gèrent les entreprises occidentales. C’était la nuance que je voulais apporter mais je ne nie absolument pas qu’il y ait un système vertical dirigé par le pouvoir. Dans, d’autres pays, ce sont des familles. Si on prend l’Arabie Saoudite ou le Qatar, ce sont tous les membres de la famille royale qui possèdent les entreprises du pays. C’est une autre façon de voir les choses.

 

Mireille Clapot :

Je vous remercie. Voilà ma deuxième question : lors des premières auditions de cette commission d’enquête, nous avons entendu des experts et des universitaires qui ont attiré notre attention sur les ressorts humains qui peuvent amener quelqu’un à céder aux sirènes de la corruption et des tentatives d’ingérence. En particulier, ce sont le besoin de reconnaissance ou d’argent. Vous qui avez bien observé vos semblables français quand vous étiez aux affaires et vos collègues russes, est-ce que vous avez constaté des tentatives d’ingérence basées sur ces ressorts humains dans les personnes que vous avez côtoyées ?

 

François Fillon :

J’ai dit tout à l’heure que je n’avais pas eu directement connaissance d’ingérences comme celles-là mais on imagine bien qu’il y a des gens qui peuvent être tentés par des propositions financières alléchantes. Autrefois, en URSS, il y avait d’autres méthodes pour attirer les occidentaux dans les filets du Parti Communiste. Je me souviens que, dans la première mission que j’ai conduit en Union soviétique, nous avions été confronté à ce risque-là. Bien sûr, c’est une réalité mais je n’en ai jamais rencontré qui soient d’une dimension telle qu’on me les fait remonter. Je crois vraiment que le risque de corruption en Russie est élevé mais pas plus que dans les autres pays avec des régimes équivalents dans le monde et je trouve que cette focalisation sur la Russie est dommageable car, d’une certaine façon, elle ne nous fait pas voir les dangers qui sont ailleurs.

 

Mireille Clapot :

Une dernière question qui sera plus courte. Si je retrace la chronologie : invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 et vous démissionnez de vos fonctions le 25 février 2022. Avec 14 mois de recul aujourd’hui, est-ce que vous jugez qu’il y avait des signes avant-coureurs à cette catastrophe absolue qui auraient pu vous amener à considérer que la ligne rouge était franchie et à démissionner plus tôt ?

 

François Fillon :

Je pourrais vous répondre d’une manière différente en vous disant qu’il y avait des risques avant-coureurs qui auraient pu nous aussi nous conduire à prendre des mesures pour éviter cette catastrophe absolue mais comme je l’ai dit tout à l’heure, je ne viens pas aujourd’hui gêner l’action du gouvernement par des jugements sur la façon dont toute cette affaire a été gérée.

Je me suis trompé sur un point, je le reconnais bien volontiers, j’étais convaincu que le Président Poutine ne passerait pas à l’acte. La veille de l’invasion, j’ai eu une discussion avec le Vice-Premier Ministre en charge de l’énergie puisque j’avais entrepris avec Cifal d’organiser à Paris une sorte de forum ou de colloque réunissant des entreprises russes et toutes les grandes entreprises françaises intéressées par la question de l’hydrogène et la production de l’hydrogène propre. Il ressortait de cette discussion, je ne sais pas si vous vous souvenez du timing, mais une partie des forces russes qui étaient massées à la frontière ukrainienne avaient été retirées. Tout le monde avait pensé que c’était le signe d’une forme de détente et c’était exactement le climat de l’entretien que j’avais la veille de cette invasion.

Quand on réfléchit à cette décision d’envahir l’Ukraine, elle est terrible pour tout le monde mais d’abord pour la Russie. C’est une erreur, une faute qui a été commise par la Russie et qui va avoir des conséquences à très long terme pour elle, pour l’Ukraine et pour l’Europe. J’ai rencontré le Président Poutine de manière intense entre 2007 et 2012, je l’ai vu dans des manifestations publiques deux fois entre 2012 et 2017 et je l’ai vu une fois après 2017, en 2018, lorsque je participais au Conseil mondial de la fédération internationale d’automobile dont j’étais Vice-Président et qui se tenait à Saint-Pétersbourg. Apprenant que j’étais à Saint-Pétersbourg, le Président Poutine a demandé à me voir. Je suis allé le voir et, en allant vers Moscou, je me demandais de quoi est-ce qu’on allait puisqu’au fond, je n’avais plus aucune responsabilité. J’ai choisi de lui dire que la situation d’isolement diplomatique dans laquelle la Russie s’installait à cause du conflit au Donbass et la question de la Crimée étaient une impasse et qu’il fallait qu’il ouvre le dialogue diplomatique pour essayer de sortir de cette impasse. Je me souviens toujours de sa réponse ; il m’a regardé avec un air dubitatif et il m’a dit : « Et avec qui je parle ? ». Je n’avais pas suffisamment réfléchi à cette question donc j’ai passé en revue la totalité des chefs de gouvernement européens et j’ai fini par lui dire : « Il faut parler avec le Président Macron ». En rentrant de ce voyage, j’ai appelé le Président Macron pour le tenir informé de cet échange et lui indiquer qu’il y avait, de mon point de vue, une voie de dialogue avec la Russie qu’il fallait ouvrir. C’est tout ce que je peux vous dire à ce niveau. Je pense qu’il y avait des solutions pour éviter cette crise. On a réussi à stopper la Russie en Géorgie, je pense que c’était possible de le faire là. Peut-être pas au moment où on s’y est pris. La dégradation des relations a commencé en 2014, c’est en 2014 qu’il aurait fallu être plus actif sur le plan diplomatique. Cela ne se sert pas à grand-chose de constater cela car la situation est dramatique, elle va durer longtemps et, de mon point de vue, elle va se traduire par une fracture très importante entre le monde occidental et une partie du reste du monde.


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